La transmission de la culture yézidie en diaspora, un combat pour l’âme d’un peuple
« Un peuple qui perd sa culture perd son âme. »
Depuis le drame de 2014 et l’exil forcé de milliers de Yézidis, l’Europe est devenue pour beaucoup une nouvelle terre d’accueil.
Mais quitter Sinjar, berceau millénaire de leur foi et de leur mode de vie, n’a pas seulement été un déplacement physique : cela a aussi ouvert une lutte silencieuse, mais essentielle, pour préserver l’âme du peuple yézidi.
En diaspora, et notamment en Europe, la transmission de la culture est un défi immense.
Les Yézidis vivent désormais entre deux mondes : celui de leurs traditions ancestrales, façonnées dans les montagnes de la Mésopotamie, et celui des sociétés modernes, souvent méconnaissantes de leur histoire et de leur spiritualité.
Dans ce nouvel environnement, les familles yézidies s’emploient avec force à enseigner leur langue, celle qui porte en elle la mémoire des récits sacrés et des poèmes anciens.
Des associations communautaires organisent régulièrement des cours pour les enfants : apprendre à lire et écrire leur langue devient alors un acte de survie culturelle.
En Allemagne, où vit aujourd’hui la plus grande communauté yézidie en Europe, des écoles communautaires proposent même des programmes bilingues, mêlant enseignement de la langue, de l’histoire yézidie et des traditions spirituelles.
Les fêtes religieuses sont aussi des moments clés de transmission.
Çarşema Serê Salê, le Nouvel An yézidi célébré au printemps, est chaque année recréé dans les parcs municipaux ou les salles de fête : familles, jeunes et anciens se retrouvent pour allumer des bougies, colorer des œufs, réciter les prières ancestrales.
Même loin des montagnes, ces gestes simples rappellent que la foi yézidie, persécutée pendant des siècles, continue de vivre.
La musique joue également un rôle central.
Lors de mariages ou de rassemblements communautaires, les sons du daf (tambourin) et les chants traditionnels résonnent, porteurs d’une émotion particulière : celle de l’exil et de l’espoir mêlés.
Des jeunes artistes yézidis, parfois nés en Europe, reprennent les chansons anciennes, mais les adaptent à de nouveaux styles musicaux, montrant ainsi que la culture n’est pas figée, mais vivante.
La religion, elle, se transmet dans la discrétion, fidèle à la tradition orale.
Les Pir, Sheikhs et Qewal (prêtres, érudits, chanteurs religieux) continuent d’enseigner aux jeunes les récits de la création du monde selon la foi yézidie, les codes moraux, les règles de pureté, souvent lors de rassemblements familiaux ou communautaires.
Même loin du temple sacré de Lalesh, des pèlerinages symboliques sont organisés, notamment en Allemagne et en France, pour permettre aux nouvelles générations de garder un lien spirituel fort.
Mais cette transmission est aussi un combat contre le temps et contre l’assimilation.
Les jeunes Yézidis en Europe sont confrontés à de nombreux défis : intégration dans des sociétés sécularisées, pression scolaire, tentation d’oublier leur différence pour mieux s’insérer.
Beaucoup parlent mieux l’allemand, le français ou le suédois que leur langue d’origine. Certains ignorent les détails de leur propre histoire, n’ayant connu que les récits fragmentaires de leurs parents marqués par la douleur.
Face à cela, des initiatives voient le jour.
En France, des associations comme l’Association Franco-Yézidie Drôme Ardèche œuvrent pour créer des espaces de mémoire et de partage : journées culturelles, expositions sur le génocide de 2014, témoignages d’anciens réfugiés.
En Suède, des programmes de mentorat mettent en lien des aînés yézidis et des jeunes nés sur le sol européen pour transmettre directement les savoirs, les coutumes, et les valeurs.
La transmission culturelle passe aussi par l’engagement politique.
Des figures yézidies émergent dans les pays d’accueil pour porter la voix de leur peuple : députés, avocats, écrivains, militants. Leur combat est double : obtenir reconnaissance et justice pour les crimes subis, et rappeler aux générations futures que leur identité est une richesse, pas un fardeau.
Loin des montagnes de Sinjar, dans les villes et les villages d’Allemagne, de France, de Suède, la culture yézidie survit et se transforme.
Elle puise dans l’exil une énergie nouvelle, mêlant respect de la tradition et adaptation au monde moderne, pour rester un flambeau vivant.
La transmission de la culture yézidie en Europe n’est pas seulement un enjeu identitaire : c’est un acte de survie, une promesse faite aux ancêtres, et un espoir silencieux que l’histoire, malgré l’exil, ne finira pas par éteindre leur lumière.
« Même déraciné, un arbre porte en lui la mémoire de sa terre. » — Proverbe yézidi
ÊzîdîPress – 26 Avril 2025