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Statue de Sheikh Mirza à Bashiqa (a été détruit en 2014 par Daesh)

Combien de temps l’esprit de Mirza verra la tête des jeunes yézidis tomber sur ses genoux et les larmes couler telle la pluie issue d’un orage ? », citation provenant d’un poème sur le génocide des Yézidis à Shengal. Dans cette période de destruction, de haine et d’impuissance, la communauté yézidie attend plus que jamais un libérateur, une forte personnalité qui pourrait guider la communauté à travers cette période difficile. Quelqu’un qui pourrait poursuivre l’héritage du héros légendaire Mirza.

Les Yézidis, à cause de la persécution et de leur environnement islamique hostile, ont connu beaucoup de difficultés à développer une alphabétisation. Plutôt que d’archiver leur propre histoire, leur mythologie, les personnages du passé, les Yézidis ont été forcé constamment à se battre pour leur survie. Néanmoins, ils ont réussi à produire une tradition orale sophistiquée, qu’ils ont gardé des événements séculaires dans la mémoire collective de la société et ont ainsi préservé une partie de leur propre histoire.

Des poèmes, des épopées et des contes, grâce aux travaux de nombreuses personnes, ont été sauvegardés à ce jour. Toutefois, par la vertu de celui-ci, un nom se distingue en particulier: Mirza (1600-1651). Son histoire a laissé des échos bien au-delà de sa mort. Aujourd’hui, son nom représente l’incarnation de l’héroïsme. Mais son véritable histoire est mal connue par les yézidis eux-mêmes.

A Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak, qui est sous le contrôle de la milice État islamique aujourd’hui, se trouvait à cette époque un lieu en l’honneur du culte yézidi construit par Mirza. Au pied du Tigre sont encore visibles les ruines de son ancien château.

Alors, qui est cet homme, qui a même été l’hôte du célèbre voyageur ottoman Evliya Çelebi (1611-1683) et qui est mentionné dans l’histoire ottomane de Naima (1655-1716) ? Comme souvent dans l’histoire des Yézidis, le sort de Mirza est marqué par la persécution et la mort. Mais Mirza parvient toujours à faire de sa vision du monde, un nouvel espoir. Même encore aujourd’hui, certains yézidis commémorent sa mémoire et l’héritage du patrimoine qu’il a laissé derrière lui.

Le fils du prince

En 1600, dans le village yézidi de Baschiqa, a vu le jour un garçon, le cadet des trois frères : Amar et Heydar. Sa famille appartient à une famille spirituelle qui ont le titre de « Sheikh » (« Shex »), qui jouissait d’une grande popularité parmi les Yézidis. Ses parents l’ont appelé Mirza – « fils de prince ». Son père était le savant très respecté Sheikh Shekho. Baschiqa et le village voisin Bahzan, abritent toujours les communautés yézidis les plus importantes et en tant que tels sont uniques: la langue maternelle des Yézidis locaux, est un dialecte arabe de la Syrie, une spécificité qui va jouer dans l’histoire de Mirza. Dans ces villages, on retrouve également les « gardiens du yézidisme », qui transmettent le contenu religieux par voie orale à la prochaine génération.

Mais quelques années après la naissance de Mirza, en 1605, vint le jour fatidique qui allait changer toute sa vie, certains diront son destin. De nombreuses tribus kurdes de Soran et des tribus kurdes du Goran ont attaqué les yézidis de la principauté de Sheikhan, ainsi que les villages de Baschiqa et Bahzan. Sheikh Shekho a mobilisé des combattants yézidis du Sheikhan, mais la résistance organisée tant bien que mal, en terme de combattants, ils étaient de loin inférieurs aux Kurdes. Les assaillants ont commis un massacre envers la population yézidi, pillant les villages et en enlevant des jeunes femmes. Le leader politique des Yézidis, le « Mîr », en apprenant cela, a immédiatement envoyé d’autres troupes pour aider Baschiqa et Bahzan. Les attaquants Soran ont finalement été repoussés après une bataille acharnée et à l’aide des troupes yézidis du Sheikhan. Mirza et ses deux frères aînés ont survécu, mais ils ont dû participer aux massacres de leur père et de leur mère et ainsi que la plupart des membres de leur famille qui ont été tués également. Comme un orphelin, l’enfance de Mirza a été marquée par la guerre et la mort. Et il a dû lutter avec ses frères Amar et Heydar pour survivre.

Captivité

Mirza et ses frères passaient leur temps dans les marchés se trouvant à quelques kilomètres de la ville de Mossoul, qui été à l’époque sous la gouvernance des Ottomans. Comme les trois frères vivaient dans la pauvreté, chacun d’entre eux était souvent amené à voler de la nourriture pour survivre, ce qui a d’ailleurs été toléré par la plupart des commerçants. Donc, ils ont toujours échappé aux conséquences des vols. Un jour, cependant, cela a changé: les trois garçons se sont glissé dans le champ d’un agriculteur pour voler des melons et des oignons. Le propriétaire du terrain, qui a s’est rendu compte des vols, a décidé de rester surveiller son champ la nuit suivante. Il se cacha dans le domaine, et alors il aperçu les frères entrer sur son champ pour le voler. Cette fois ci, l‘agriculteur attrape la fratrie et les amène aux soldats Ottomans.

Les gardes et les soldats ottomans ont questionné les garçons à propos de leurs parents et de leur origine, et ainsi leur identité yézidie est devenu apparente. Les soldats musulmans les ont alors mis en prison et battu Mirza et ses frères. Un des soldats a conduit la cruauté à l’extrême: ils dirent à Heydar qu’ils le laisserait la vie sauve s’il tuait ses frères. Mais Heydar a refusé. Et ainsi qu’Amar qui a refusé de tuer son frère cadet. Les soldats se sont alors tournés vers le jeune Mirza qui ne comprenait pas très bien ce qu’il se passait. Ils ont mis un couteau dans la main de Mirza et l’ont forcé à couper la gorge de ses frères. Suite à cela, les soldats ont jeté Mirza dans l’une des rues de Mossoul.

Errant en pleurs et couvert de sang, dans les rues de Mossoul, Mirza se fit reconnaitre par un marchand bien connu. Le commerçant a demandé ce qui était arrivé. Mirza a alors raconté les événements qui se sont déroulés dans la prison. Le marchand a alors ramené Mirza à Baschiqa et Bahzan. L’histoire s’est rapidement propagée dans la communauté, et bientôt tout le monde savait ce que les soldats ottomans ont fait à Mirza et ses frères. Quelques Yézidis se sont levés et ont juré de se venger, mais en réalité ils étaient impuissants contre les forces ottomanes numériquement supérieures à Mossoul. L’orphelin Mirza avait perdu ce jour ses derniers parents directs – et le pire c’est que c’était par ses propres mains.

Mirza, dont la famille est la descendance directe de la famille éminente Adani-Cheikh, a été pris dans le clergé yézidi. Mirza a été formé religieux et appris, contrairement à la majorité des Yézidis, lire et écrire la langue arabe. Une fois un homme adulte, il s’est marié et est devenu un professeur lui-même. Les Yézidis étaient respectueux envers Sheikh Mirza. Mais Mirza, cependant, a commencé à s’intéresser à autre chose que la religion: il était passionné par les stratégies et tactiques militaires. Les attaques constantes des musulmans contre les Yézidis et sa propre histoire de vie ont montré à Mirza qu’une tactique et une stratégie militaire était indispensable à la victoire.

La première victoire

15 ans après la dernière attaque majeure sur Baschiqa et Bahzan où Mirza a perdu ses parents, la communauté a été attaqué à nouveau par des tribus kurdes et arabes. Bien qu’ils étaient plus nombreux, les Yézidis, et particulièrement Mirza, ont pris les armes pour défendre leurs villages. Mirza pouvait maintenant prouver à quel point il était stratège dans la guerre. Il a mobilisé les meilleurs combattants sous son commandement et préparé la contre-attaque. Mirza a utilisé leur infériorité numérique à son avantage, en plus de cela, les combattants yézidis connaissaient bien les villages locaux. Cela a permis aux Yézidis sous le commandement de Mirza, de conduire les troupes ennemies dans les villages où ils ont été acculés et leurs ont infligé une défaite dévastatrice. Dû aux lourdes pertes, les assaillants se retirent pour ne pas perdre toute leur armée. La victoire se répandit comme une traînée de poudre dans la région, et également à Shengal, la deuxième grande zone de peuplement des Yézidis, où la victoire de Mirza a été célébrée. A 20 ans Mirza est devenu un héros. Les sources ottomanes rapportent que Mirza a ordonné plus tard l’entrainement d’environ 3000 combattants yézidis afin qu’ils soient prêt lors des prochaines attaques. Dans la région, sa renommé se propagea, le nom de Sheikh Mirza devint notoire.

À l’âge de 25, Sheikh Mirza a été nommé chef de la communauté de Baschiqa et de Bahzan. Par ailleurs, il entretenait une relation fraternelle avec le prince yézidi Mir Zaynal Javkhali. Quand en 1623 a éclaté la guerre entre ottomans et safavides et a duré jusqu’en 1639, les Yézidis se sont retrouvés dans le feu croisé des deux blocs qui se faisaient la guerre. Sheikh Mirza, qui a depuis été reconnu comme commandant militaire de tous les Yézidis savait que les Yézidis ne pouvaient survivre à cette guerre s’ils sont frappés des deux côtés.

Toutefois, les Yézidis se sont retrouvés malgré eux dans cette lutte qui ne les impliquent seulement à cause de leur emplacement entre les deux camps. Dans la avancée vers les ottomans, les Safavides avait massacré des milliers et des milliers de Yézidis et ont fait beaucoup de prisonniers. Aucun des prisonniers, raconte la légende, n’est jamais revenu. En outre, le front Ottoman était stationné à proximité des Yézidis, les commandant ottomans mirent en place un stratagème pour impliquer les Yézidis dans cette guerre afin de mettre toutes les chances de leur côté et en plus les villages des Yézidis deviendraient eux-même le front contre les Safavides.

Dans les rapports du chroniqueur ottoman Naima, il est rapporté que Sheikh Mirza a été reçu personnellement en tant que commandant d’environ 3.000 combattants yézidis par le sultan Murad IV. Dans le rapport ottoman, Sheikh Mirza est glorifié pour ses actions héroïques durant la bataille de Bagdad entre les Safavides et les Ottomans.

Le siège de Bagdad

Les troupes du sultan ottoman Murad IV étaient assiégé à Bagdad, encerclés par les Safavides. En 1639 a commencé l’attaque à grande échelle. Pendant les combats, les troupes yézidis ont non seulement gardé leurs positions et défendu la ville, mais ils ont également fait  avancer le front jusqu’aux positions d’un commandant safavide. Après une lourde et sanglante lutte contre les unités safavides, les yézidis menés par Sheikh Mirza ont gagné la bataille et ont tué le commandant safavide. Après cette victoire clé Sheikh Mirza a décidé d’avancer plus loin et attaquer le commandant safavide Saru Khan, d’autant que la démoralisation des troupes safavides se faisait de plus en plus pesante.

Menés par Sheikh Mirza, les combattants yézidis ont gagné d’importantes victoires sans lourdes pertes et ont fini par tuer le commandant des forces armées safavides. Les succès de Sheikh Mirza ne passa pas inaperçu parmi les Ottomans. Le nouveau pouvoir et Sheikh Mirza ont conclu un accord excluant toute attaqes contre les Yézidis de la part des Ottomans, des Kurdes et des Arabes. La région de Sheikhan a connu alors une période de paix et de sécurité.

Il y a eu donc un traité de paix après la victoire entre les Ottomans et les Yézidis. Toutefois, cela n’a pas duré longtemps. Déjà en 1640, les troupes ottomanes ont attaqué les Yézidis à Shengal. Mais les Yézidis de Shengal ne se sont pas laissés faire, et ils ont tué entre autres le commandant ottoman Nasuh Pasha, ainsi qu’environ 7.000s soldats ottomans, selon les rapports militaires de Evliya Çelebi. A cette époque les Yézidis contrôlaient tous les itinéraires commerciaux dans la région de Shengal et les environs, les musulmans en particuliers, avaient peur de s’y aventurer. Les Yézidis ont refusé également de payer les impôts prélevés par les Ottomans pour les soumettre entièrement. Les Yézidis ont également attaqué et saccagésans crainte des convois de marchandises ottomanes.

Cela a incité le gouverneur de Diyarbakir, Melek Ahmad Pasha, qui était connu pour son hostilité extrême envers les Yézidis, à assiéger avec 70.000 soldats la ville de Shengal. Il a appelé les Yézidis à retourner les biens volés et de payer la taxe aux gouvernement ottoman. Les Yézidis ont décidé de se retirer dans les montagnes et de résister. S’en est suivi une guerre entre les deux camps. Malgré la supériorité de 70.000 soldats, les Ottomans ont subi de lourdes pertes avant de pouvoir conquérir le Yézidis qui s’étaient retranchés dans les montagnes.

En dépit de ces circonstances Sheikh Mirza a pu consolider son pouvoir durant la décennie suivante. Dans cette position de pouvoir Sheikh Mirza aurait pu prendre le pouvoir de la tête séculaire des Yézidis, c’est à dire devenir prince yézidi. Mais il a refusé de demander cette position. Au contraire, il a légitiment reconnu Zeynal Javkhali comme prince des yézidis, et il consultait toujours le prince pour les grandes décisions. Avec son succès lors du siège de Bagdad et ses troupes yézidis entrainés au combat, Sheikh Mirza a fait en sorte qu’il y ait moins d’attaques contre les Yézidis par des tribus hostiles se trouvant tout autour.

Nommé gouverneur

Sa puissance et son pouvoir atteint atteint son paroxysme en 1650. Cette année, Sheikh Mirza a rencontré Kara Murad Pacha, le grand vizir du sultan ottoman et le deuxième homme le plus puissant dans l’Empire ottoman. Mirza a utilisé son pouvoir et a demandé à être nommé gouverneur de Mossoul. En effet, les Ottomans l’ont nommé gouverneur de Mossoul. Ce fut la position la plus élevée jamais tenu un par un yézidi au sein de l’Empire ottoman.

La cours à la quête de pouvoir, cependant, Sheikh Mirza a toujours mis la  tradition yézidi fort au-dessus de tous les motifs personnels.
Après qu’il a été nommé gouverneur de Mossoul, Sheikh Mirza a commencé à venger ses deux frères. Mirza a ordonné d’abord de détruire la ferme de l’agriculteur qui les avait livré aux soldats ottomans. Mais le nouveau gouverneur Mirza était devenu plus cruelle encore contre ses ennemis: il a ordonné de faire prisonnier tous les descendants des soldats et des gardes ottomans qui les avaient maltraités en prison. Mirza confronté aux événements de son enfance, a fait massacrer tous les membres des soldats ottomans.

A Mossoul, au pied du Tigre, Sheikh Mirza a restauré un sanctuaire yézidi et a aussi fait construire un temple en l’honneur du Saint Pir Qedibilban. Sheikh Mirza résidait désormais dans son château à Mossoul. Les ruines du château sont encore visibles.

Au cours de son bref règne, les Yézidis ont apprécié la sécurité et la protection rare qui émanait de la position de Sheikh Mirza. Ils pouvaient sans grande crainte de la répression, travailler et faire du commerce et ainsi construire une certaine prospérité au sein de la société yézidie. Mais un an plus tard, Kara Murad Pacha fut destitué de ses fonctions, ainsi que Sheikh Mirza qui a perdu sa position. Sheikh Mirza a décidé d’aller protester contre son expulsion à Istanbul. Cependant il a vu  que Melek Ahmad Pasha, qui était responsable de la grande attaque sur Shengal, est devenu le nouveau grand vizir de l’Empire ottoman. Sa haine pour les Yézidis, l’a poussé à tout mettre en oeuvre pour destituer Skeihk Mirza.

Lorsque Mirza a été informé des plans de ce dernier, il a commencé une rébellion contre les Ottomans. Sheikh Mirza est rrentré avec 60 de ses combattants à Sheikhan, mais sur le chemin de retour à son village natal, les Ottomans l’attendaient dans une embuscade. Sheikh Mirza et ses combattants ont été encerclés et attaqués. À l’âge de 51 ans Sheikh Mirza a été tué. Evliya Çelebi a rapporté que les soldats ottomans ont décapité Sheikh Mirza et ont emporté sa tête au grand vizir Melek Ahmad Pasha.

Quand les Yézidis ont appris sa mort, une grande incertitude éclata parmi eux et ainsi que de la colère. Les Yézidis de Sheikhan ont refusé à payer les impôts et ont poursuivi le soulèvement prévu par Sheikh Mirza. Cela a donné les motifs aux Ottomans, y compris Melek Ahmad Pasha, afin d’attaquer les Yézidis.

Mais les combattants de Sheikh Mirza étaient bien préparés. Désormais leur commandant était le chef yézidi Imadin Hakkari. Hakkari a été soutenu par Mir Zeynal Javkhali. L’armée yézidie comprenait environ 6.000 combattants entraînés et bien armés. Les Ottomans comptaient comme souvent sur leur supériorité numérique. Imadin Hakkari a décidé de venger Sheikh Mirza. Sous le commandement de Hakkari, les troupes yézidis ont frappé non seulement l’alliance ottomane-kurde, mais ils ont aussi conquis de grandes zones telles que la région kurde Bervari. Avec ces pertes importantes les Ottomans ont opté pour des pourparlers de paix.

Au cours des siècles suivants, s’en suivi d’innombrables autres attaques et des campagnes d’extermination contre les Yézidis. Mais les yézidis n’ont plus jamais retrouvé la puissance qu’ils avaient sous Sheikh Mirza. Les réalisations de Sheikh Mirza continuent à vivre encore dans les poèmes, les chansons et les histoires. Pour les Yézidis, il est considéré comme un héros. Les yézidis du Sheikhan avaient fait construire une statue en son honneur en 2006 à Baschiqa, mais il a été détruit par la milice terroriste « Etat islamique » en 2014.

Depuis le génocide perpétré par les islamistes de l’État islamique contre les Yézidis de Shengal, les Yézidis ont établi leurs propres unités de combat pour se défendre. Dans leurs chansons et slogans Sheikh Mirza trouve sa place en tant que modèle. Les unités de résistance de Shengal (YBS) s’appellent eux même les «petits-fils de Sheikh Mirza».

©ÊzîdîPress, Octobre, 2016