Djangir Akha et les yézidis de la province de Van

Van – Djangir Akha était le chef des yézidis de la tribu « Zuqurya » et a joué un rôle important dans l’histoire récente de l’Anatolie orientale. La tribu des Zuqurya était très connue dans la région de Serhed (Anatolie orientale), notamment pour leur combativité. La majeur partie de la tribu vivait dans la région de Van, plus précisément du côté Est du lac de Van jusqu’à la frontière iranienne actuelle, s’étendant même sur le territoire d’Ali Osman.

Aux alentours de cette province vivaient également les tribus kurdes : les Shewî, les Liyî, les Shemskî, les takorî, les muqurî, les mîli, les heyderî et tant d’autres. Ces tribus qui avaient comme religion l’islam, n’étaient pas en bon terme avec les tribus yézidies, même si des alliances étaient nouées. Il arrivait que ces tribus se joignent aux tribus yézidis pour faire face à un ennemi commun.

Anatolie orientale.

Selon les sources administratives de l’époque ottomane, environ de 511 000 yézidis vivaient en anatolie orientale, le vrai chiffre est vraisemblablement le double, car les administrateurs des provinces minimisaient le nombre des ‘non musulmans’ afin de minimiser leur importance dans l’empire ottoman.

Aux alentours de l’année 1800, le chef des yézidis de cette région était Simoyê Cheto (Simail Akha). Il appartenait à la tribu des « Reshan » qui elle-même appartenait à la grande tribu des Zuqurya. Simoyê Cheto n’a pas régné longtemps sur ces tribus, le père de Djangir Akha a pris la suite. Kheto (Khetib Akha) était quelqu’un de très riche. Il appartenait à la tribu des « Mendiki ».

Un jour, un des chefs kurdes, Dirbas Khan, envoie des émissaires aux tribus yézidis afin d’organiser une rencontre. Dirbas Khan veut rencontrer Khetib Akha et son frère Qubet. Lors de cette rencontre, Dirbas Khan leur dit que le Mîr des yézidis (le prince des yézidis) et les autres yézidis de Lalesh et de Shengal ont abandonné leur foi yézidie. Il faut donc que Khetib Akha fasse de même car il n’y a que l’islam qui sera autorisé dans l’empire.

Les anciens se réunissent sous l’égide de Khetib Akha afin d’envoyer des messagers à Mossoul et à Lalesh auprès du Mîr afin de vérifier ces dires par eux-mêmes. On choisit d’envoyer un pîr et deux mîrîds (cf castes yézidies). Afin de pouvoir voyager en toute sécurité, ils se rendent auprès de Firik Pasha afin d’obtenir un laissez-passer. Ce dernier, en apprenant le but de leur voyage, leur demande de se convertir à l’islam. Le pîr et un des mîrîd refusent et se font décapiter. Le troisième est relâché car il accepte de se convertir à l’islam et abandonne ses amis.

En apprenant ces faits, les yézidis de Van se réunissent de nouveau afin de trouver une solution à ces attaques successives contre leur foi. Cette fois si, ils décident que ce sera Khetib Akha et son frère Qubat qui iront voir Firik Pasha afin de trouver un compromis. Ainsi ils se rendent chez Firik Pasha. Ce dernier n’est pas dans sa demeure, ils sont donc accueillis par sa femme Djazê Khanim. En apercevant le fils de Firik Pasha, qui est encore un petit garçon, Khetib Akha lui demande de venir auprès d’eux. Il lui hôte son chapeau ottoman (« Fês » ou « Fîno ») et le rempli de pièces d’or. Khetib Akha lui dit « Va et dis à ta mère que c’est un cadeau de tes frères ». Etonnée et surprise, Djazê Khanim leur demande quels sont les motifs de leur visite. Khetib Akha et son frère lui raconte alors les faits, comment son mari a tué leurs messagers et exerce une pression sur toute la communauté yézidie afin de les convertir à l’islam. En apprenant cela, elle leur promet de parler à son mari en leur faveur. Ils placent ainsi leur espoir en cette femme et rentrent dans leur région. Ils apprennent par la suite que Firik Pasha a changé d’avis et ne forcent plus les yézidis à se convertir, du moins pour le moment.

Après ce succès, Khetib Akha devient le chef de toutes les tribus yézidis de Van. Les fils de Simoyê Cheto, qui auraient aussi pu devenir chef du fait de leur histoire familiale, soutiennent Khetib Akha et renforcent son pouvoir. De ce fait, la famille de Simoyê Cheto est encore aujourd’hui respectée par les tribus Zuqurya.

Après cet épisode, les tribus de Van passent alors sous la direction de Khetib Akha qui était de la tribu Mendiki. L’arrière-grand-père de Khetib Akha, Bishar Pasha était le descendant de Hemzê Beg, ce dernier avait été pendu par les autorités, ce qui a forcé leur famille à fuir en direction de l’anatolie orientale, et plus précisément à s’installer aux abords du lac de Van. Cet exode des Mendiki s’est probablement déroulé dans les années 1820.

Khetib Akha qui petit à petit gagna le respect des tribus voisines, régna jusqu’à la fin de sa vie sur les tribus yézidies de la région de Van. On raconte que Khetib Akha était quelqu’un de très riche, il possédait beaucoup de terres cultivées en blé, l’aliment le plus important à cette époque.

Khetib Akha s’est également illustré dans certaines querelles qui intervenaient dans les tribus kurdes voisines. Il a notamment pris parti pour la tribu Takori gouvernée par Hisen Begê Takorî contre celle des Heyderi dirigée par Tahar Khane Heyderî. La tribu des Heyderi vivait sur la frontière iranienne actuelle, pas très loin de Van, cette région s’appelle Qereni. Tahar Khane Heyderi était l’ennemi juré de Hisen Begê Takori, lorsqu’il apprend la mort de son fils, il s’attaque aux Takori, et notamment sur leur village Axurik – Sufliya. Une partie de son armée, dirigée par Qol Emo, s’attaquent également aux villages yézidis sur leur passage, notamment à Chuburli. Dans cette guerre, Tahar Khan sera tué par Hisen Bege Takori avec l’aide de Khetib Akha.

Malgré le soutien et l’alliance entre Hisen Begê Takori et Xetib Akha, après la mort de ce dernier (il meurt à l’âge de 90 ans, selon les sources entre 1904/1906, nous ne connaissons pas la date exacte), Hisen Bege Takori tente de s’attaquer aux tribus yézidis de Van. Le fils de Khetib Akha, le jeune Djangir Akha (né en 1874), ne se laissera pas faire et très rapidement stoppe l’avancé de l’ancien ami de son père. Après cet épisode, le jeune Djangir Akha comprends vite qu’il doit aussi armer ses tribus afin de se défendre contre les attaques, car l’histoire le confirmera, ce ne sera ni la première, ni la dernière. Il utilisera une bonne partie de la richesse de son père afin d’équiper ses tribus en armes. Ce sera une des décisions les plus sages qu’il aura, car cela sauvera beaucoup de vie yézidie lors du génocide de 1915.

Lorsque les ottomans (les turques) et aussi certaines tribus kurdes massacrent les arméniens, ils en profitent pour également détruire la communauté yézidie. Dans cette guerre sans loi ni foi, 1 500 000 arméniens seront massacrés et nous estimons aussi le nombre de morts chez les yézidis à 500 000. Seulement 50 000 yézidis parviennent à fuir en Arménie, alors contrôlée par les russes. Nous pouvons retrouver ces chiffres dans les archives russes de l’époque.

Djangir Akha

Djangir Akha s’illustrera de nouveau aux côtés des arméniens pour lutter contre l’avancé ottomane. Il s’unira notamment avec Andranik Ozanyan (Andarnik Pasha), Simbat, Sêrob Pasha, Gevorg Chaush et tant d’autres et montrera toute sa bravoure lors de la guerre d’Aparan et de Sardarapat. Il réussira notamment à réunir les combattants yézidis des autres tribus, notamment les Heseni qui avaient également fuient en Arménie. Les sources arméniennes qui relatent ces deux guerres, estiment à 700 le nombre de combattants yézidies qui se battaient auprès des arméniens sous l’égide de Djangir Akha. Dans ces combats, Ali Akha, le dirigeant de la tribu des Sipki est capturé par les kurdes de Teyo Beg.

Grâce à leur courage, ils réussissent à repousser les ottomans et s’installent dans les villages abandonnés par les azéris à cette époque. Une nouvelle ère commencera pour eux, les rescapés yézidis, sous le régime soviétique qui, malgré ses défauts a su garantir les droits des petits peuples.

Cependant, le destin sera cruel pour Djangir Akha et sa famille sous le régime soviétique. Il sera considéré comme un traitre à la nation par le régime soviétique. Expulsé et envoyé à la prison de Saratov (Russie), il y s’éteindra en 1943. La vérité sur son histoire sera tout de même rétablie et il sera réhabilité en 1959.

Djangir Akha et sa famille en Arménie avant leur déportation.

La République d’Arménie reconnaitra, après son indépendance, l’héroïsme de Djangir Akha lors des batailles qui les opposaient aux ottomans. Plusieurs statues lui seront dédiées à partir des années 2000. Et plus récemment, ses cendres ont été ramenées en Arménie où une importante Statue a été érigée près du nouveau temple yézidi d’Aknalich par Mirze Cholo.

Il y a beaucoup d’informations qui manquent encore afin de nous relater la vie de Djangir Akha dans la région de Van, certaines de ces informations sont dans les archives ottomanes, que la Turquie refuse de divulguer, sans doute pour ne pas montrer au monde, l’héroïsme qu’ont fait preuves les yézidis et plus particulièrement Djangir Akha.

De nos jours, dans chaque mariage yézidie du Caucase, les anciens portent des toasts en son honneur et racontent ses exploits lors des batailles contre les ottomans. C’est ainsi qu’une partie de son histoire a pu parvenir jusqu’à nous. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des dirigeants les plus braves que les yézidis ont connu.

EzidiPress. 20 Décembre 2020.